Par Sasi Somu
Du 6 au 28 novembre 2020
De tous temps, l’arbre, ce mystère en pleine lumière, a fasciné les photographes.
De la ferveur naturaliste de Ansel Adams qui nous a laissé des centaines de clichés réalisés à partir des années 30 dans les grands parcs nationaux americains, à la photographe Beth Moon qui a parcouru le globe a la recherche des plus vieux arbres de la planète jusqu’au maniérisme symbolique de l’israélienne Tal Shochat qui nettoie les branches d’arbres fruitiers avant de les
immortaliser sur fonds de tissu noir, l’arbre reste un des sujets de prédilection des artistes.
Cette obsession pour ces créatures génératrices de vie qui frôlent l’immortalité et nous relient au ciel s’accompagne d’un sentiment mêlé de perte et de désir de pureté originelle. L’arbre, cet être sacré nous remet en contact avec le meilleur de nous mêmes.
Les protagonistes de l’exposition de Sasi Somu au Centre d’ Art en ce mois de novembre, ce ne sont pas les arbres tout court – ce sont les arbres d’Auroville.
“Il y a cinquante ans, à la naissance d’Auroville, c’était un désert, il n’y avait pas un arbre dans les environs – explique Sasi- les premiers habitants les ont plantés. Ils ont exactement le même âge que la ville et se sont developpés en meme temps qu’elle. Ils en sont donc les témoins privilégiés.”
Et c’est aussi un témoignage que nous offre ici le photographe, dont le regard nous rend, nous spectateurs, à notre tour, témoins.
“Et s’ils pouvaient parler…”
Ce que font les images de Sasi, c’est donner la parole aux arbres.
Depuis des années il les photographie inlassablement sous tous les angles, alternant les saisons, les heures du jour, les variations de la lumière, explorant textures, motifs, contrastes.
Cette exposition, pourrait on dire, est un arrêt sur images dans un processus aux possibilités créatives inépuisables. “Ce travail n’est pas fini, et ne le sera jamais. Chaque découverte mène à une autre et engendre des connexions aussi complexes que la structure des branches, des racines, du feuillage .”
Ce qui intéresse en particulier le photographe, c’est la relation de l’arbre avec l’environnement, dans quelle mesure la physionomie d’un paysage, son atmosphère, sont modelées par sa présence.
“ C’est pour cette raison que je n’utilise pas de cadre, cela produit une séparation. La photo est un instant dans un récit qui se déroule. Il y a un avant, il y a un après, et tout se qui se passe autour d’une image qui n’est pas isolée reste subtilement perceptible.”
Dans cette optique, Sasi décale les frontières du visible, découpant ses images en fragments dont chacun est en soi une composition abstraite. Les éléments des polyptiques ainsi crées peuvent être distanciés. L’espace, comme en musique un silence ou un souffle, en générant rythme et tension, souligne la plasticité de la composition.
Le sentiment de liberté et de respect qui permée ces images nait cependant de choix stylistiques rigoureux. Le choix de la photographie analogique, du noir et blanc.
Analogie est le mot clé de cette exposition.
Analogie entre le long travail du photographe de l’ère pré-digitale et le patient développement du systeme végétal, les prises de vue puis les phases compliquées des processus chimiques, le facteur temps, le passage du film au papier, du négatif au positif, le rôle de la lumière dans le développement, la photosynthèse.
Analogie revendiquée jusqu’à l’osmose entre la photographie classique et l’arbre. Envers l’une et l’autre: une déclaration d’amour.
Dominique Jacques, octobre 2020