Par Clare Arni
Du 22 fév. au 14 mars 2020
Du 22 février au 14 mars, le Centre d’Art Citadines présentera deux importantes séries de travaux de la photographe d’origine anglaise installée à Bangalore, Clare Arni.
Clare, qui a laissé son pays natal à l’âge de six ans, a vécu la majeure partie de sa vie en Inde. Photographe d’architecture au début de sa carrière, elle se tourne ensuite vers le reportage, s’intéressant à des thèmes sociaux et documentant l’héritage culturel de l’Inde avec des projets de longue haleine déclinés en collaborations internationales avec des revues, publications de livres, expositions à travers le monde.
Les travaux présentés ici, « A peoples history of water » et « Disappearing professions in urban India » témoignent des dramatiques réalités affrontées aujourd’hui par l’Inde aux prises avec des bouleversements sociaux-culturels et climatiques aux conséquences aussi rapides qu’inéluctables.
« Disappearing professions in urban India », un projet né en 2006 et réalisé sur trois ans avec la collaboration de l’écrivain Oriole Henry est une enquête menée principalement a Calcutta, Delhi, Chennai et Bangalore.
Dans ces métropoles, c’est tout un mode de vie qui est menacé par la disparition des métiers traditionnels engloutis par la naissante réalité économique générée par une urbanisation galopante et l’apparition des nouvelles technologies. Les échoppes artisanales spécialisées sont, à plus ou moins long terme, condamnées face aux grandes chaines commerciales, et avec elles, un savoir qui se transmettait d’une génération à l’ autre. Avec l’apparition d’un nouveau genre de consommation standardisée, ce n’est pas seulement la survie de toute une partie de la population qui est en jeu, mais aussi l’immense richesse et la variété qui composent le tissu culturel de l’Inde.
Clare a rencontré les artisans dans leur lieu de travail, elle a photographié des potiers, des teinturiers, des vendeurs de thé. Certains regardent l’appareil, d’autres sont concentrés sur leur ouvrage, d’autres encore on ne voit que la main, parfois même ils n’apparaissent pas, mais la boutique est saturée de leur présence comme un vêtement qu’on vient d’enlever. Chaque espace est façonné par des années d’habitudes, de gestes répétés, de relations humaines.
Sur une de ces images, nous sommes chez un marchand de miroirs. L’homme se tient de profil dans son magasin minuscule. Au dessus de sa tête, une horloge pendue donne l’heure : il est une heure 27. Le soleil de l’après midi illumine sur les murs les miroirs où se reflètent des angles cachés de la boutique et de la rue. Dans l’un de ces miroirs apparaissent deux silhouettes en contre jour- des clients sans doute -ndistinctes comme les témoins fantômes d’une histoire qui s’efface.
La seconde série, « a peoples history of water » rassemble des images prises durant trente ans de reportages sur différents projets :
Kaveri River (1994), quatre mois pendant lesquels Clare a remonté le fleuve pour photographier les diverses populations vivant sur ses berges.
Dreams and Discontents (2002) centré sur les problèmes d’approvisionnement hydriques dans une métropole à l’expansion inarrêtable, Bangalore.
Maha Kumbh Mela (2013), dédié à la vie dévotionnelle le long des rives du Gange.
Sundarbans, une enquête sur les difficiles conditions de vie dans une région soumise aux inévitables problèmes du réchauffement climatique.
L’eau comme source de vie, inspiratrice de rituels sacrés, l’eau dont le manque, en ces temps de réchauffement global terrifie l’humanité mise en face d’une possible absence de futur, est présente dans toutes ses incarnations dans les photos de Clare, dont une est particulièrement emblématique : C’est l’image d’une rue, vue de haut et divisée en deux par un mur ; d’un côté du mur, des trottoirs défoncés, des toits de tôle ondulée, et les habitants de la pauvreté, un homme assis au milieu de calebasses, une femme qui remonte la rue avec une cruche que l’on imagine pleine, de l’autre côté, des enfants jouent dans une piscine dont l’eau, ce merveilleux élément donné en partage a l’humanité, scintille sous le soleil à pic, comme le miroir empoisonné où se refléterait une humanité déchue.
Dominique Jacques/ Centre d’Art