Emptiness

Par les artistes de V5

Ezhilarasan, Vengatesh, Danasegar et Sridhar

Du 11 au 28 janvier 2020

Un titre qui est une déclaration d’intention et un défi. Y a t il en effet mission plus extrême pour un artiste visuel que d’aller questionner le vide ?

Ce qui intéresse les artistes de V5 c’est de capturer les messages de l’invisible. Devenir les vecteurs d’un monde auquel nous n’avons pas accès, raréfiant dans leur travail les éléments de distraction pour laisser affleurer des mystères latents sous la surface des choses. Emptiness est une nouvelle étape de ce voyage. Voyage réel, pour Ezhilarasan et Vengatesh qui retournent, inlassablement, vers les lieux qui les fascinent, l’Himalaya pour l’un, Varanasi pour l’autre, voyage métaphorique et déplacements de conscience pour Danasegar et Sridhar.

Danasegar décide de faire le vide en soi, de descendre au plus profond de lui-même, laissant sa main tracer a la surface de la toile des signes qu’il refuse de contrôler. « Je deviens le fou, dit il, personne ne sait ce qui se passe dans la tête d’un fou. Je deviens l’eau qui coule à travers le caillou, je deviens le trait, je suis libéré de ma propre existence. » Ce qu’il s’est passé à ce moment là, un moment de pur bonheur, ce qui est descendu, restera à jamais inexplicable. Il en restera les traces, ces trames qu’il a dessinées comme on gratte un mur.

Depuis toujours le vide a suscité chez les artistes des sentiments ambivalents, une attirance irrésistible accompagnée de peur, la tentation de s’y perdre en même temps que la crainte de découvrir en soi la preuve de sa non existence.

Chaque artiste, porteur de connaissances, de mémoires, d’expériences sensorielles indispensables à sa formation, ressent, tôt ou tard, la nécessité de se défaire de ce bagage pour pouvoir, affranchi des liens du passé, s’avancer au seuil de régions inexplorées.

L’inconnu de Sridhar est une mémoire enfouie. D’un père artiste pour le temple de son enfance il a gardé des souvenirs émerveillés, une dévotion absolue pour les chefs d’œuvre qu’il a pu admirer dans toute l’Inde et faire siens, les sculptures, les bas reliefs, les fresques d’Ellora et Ajanta. Puis il a brouillé les pistes, faisant semblant d’oublier ce monde prodigieusement antique dont les échos continuent de filtrer à travers ses stratigraphies à l’aspect poreux comme celui d’une peinture murale. Ce que Sridhar peint, il le considère comme une entité séparée dont il tire des enseignements. Il est à l’écoute de l’univers, il est le destinataire de secrets perdus, de passages oubliés.

Quant à Ezhilarasan, ce qu’il raconte est suggéré par des silhouettes à peine esquissées: des hommes, des chiens, dans un vide à l’odeur de neige.

Les chiens, comme des sentinelles, surgissent dans la nuit. Ils défendent spontanément les hommes contre des dangers invisibles qu’eux seuls percoivent. Ils sont partout: ils errent le long des routes, suivent les voitures en aboyant, meurent renversés dans des accidents, rêvent, et hurlent à la lune.

« Les chiens n’ont pas peur, car ils n’ont pas, comme nous, perdu toute connexion avec la nature – raconte Ezhilarasan- Ils sont le trait d’union, le pouvoir que nous avons perdu. Ils montent la garde aux portes de l’invisible, hument dans l’inconnu des créatures aux aguets ».

Là où Ezhilarasan efface, Vengatesh révèle.

Dans l’ œuvre de Vengatesh, Varanasi est un archétype. Il a crée un univers crépusculaire où des divinités nimbées de lumière bleue apparaissent et disparaissent comme sur des fresques en plans successifs. C’est une fable onirique traversée d’éclairs aveuglants, qui présente sur le même plan l’ombre et la lumière, le connu et l’inconnu, le caché et le dévoilé, le rien et le tout. Le vide y est la face cachée du plein, comme dans un jeu de cartes dans la main d’un illusionniste suprême.

Le fil rouge qui relie les quatre artistes de Pondichéry, le fleuve souterrain où conflue leur parcours, se trouve peut être dans les sculptures d’Ezhilarasan, un groupe de neuf petites études d’êtres humains surpris dans les positions familières de la vie de tous les jours, que l’artiste appelle les neuf planètes, » car- dit il- comme les planètes, ils tournent autour du soleil mais ne se rencontrent pas ».

Chacun représentant, dans sa spécificité, un aspect de l’être non fragmenté que nous sommes en réalité bien que nous l’ayons oublié, nous croyant perdus, et dont on pourrait, en les réunissant, rétablir la plénitude originelle.

Dominique Jacques, décembre2019