Notes on the Way

Par Pierre Legrand

Du 1er au 18 février 2020

A partir du premier février 2020, les créations de Pierre Legrand viendront habiter les galeries du Centre d’Art à Citadines.

Cette exposition, une rétrospective aux allures de journal de bord, marque une étape fondamentale dans le parcours de l’artiste aurovilien qui a récemment changé de lieu de vie et de travail. Dans le nouvel atelier, un espace minimaliste dont les parois nues ne permettent aucune distraction, une création nouvelle s’est naturellement imposée à lui, en même temps que le besoin de s’affranchir du passé. Pierre a donc décidé de rassembler dans les deux salles du Centre d’Art des œuvres anciennes et ses projets les plus récents, couvrant ainsi un arc temporel de 30 ans. Les ventes de l‘exposition iront à Art for Land (une initiative destinée à recueillir des fonds pour acheter de nouvelles terres pour Auroville).

On pourrait dire que Notes on the way est une sorte de rite de passage, ou l’équivalent d’une pause musicale dans une symphonie, comme quand on reprend son souffle avant de poursuivre une ascension, et que, brièvement, on se retourne pour mesurer le chemin parcouru.

Ces œuvres sont les témoins d’une exploration dont l’artiste ne connait ni le terme, ni le prix, mais seulement l’enjeu, et qui n’est exempte ni de doutes ni de questionnements.

Il accepte de ne pas savoir, il traverse de longues périodes d’incertitude ponctuées de révélations parfois fulgurantes où il perçoit en un instant ce qu’il a -apparemment- mis des années à réaliser.

Cet éclair où il comprend que trente ans ou une seconde, c’est pareil, que tout est déjà là , mais qu’il n’y a pas de raccourci, qu’il lui faut installer dans la matière, jour après jour, à tâtons, ce secret qui nous aveugle.

Ce qui relie les œuvres terriennes, organiques, presque monochromes des années 90 et celles d’aujourd’hui, (qui ne relèvent plus de la peinture, ni de la sculpture, ni vraiment de l’architecture, mais se situent dans une zone transitaire qui refuse de se définir) des structures presque impalpables où dansent des touches de couleur pure comme la joie d’un printemps qui jaillit, c’est un processus que l’on pourrait presque qualifier de Darwinien.

Il est un vecteur, Il est un instrument de la matière qui cherche à fleurir à travers lui, qui se cherche et se découvre, qui veut être manifestée. « Ce que je fais-dit il- c’est beaucoup plus loin que moi, ca me dépasse. C’est comme lancer quelque chose qui après te tire ». Rimbaud écrivait: L’art est en avant.

Il s’agit donc d’une œuvre fortement évolutive dont les implications formelles sont multiples et imprévisibles. Son itinéraire n’est pas linéaire mais emprunte parfois des diramations, comme un arbre dont la croissance est déterminée par l’inextricable expansion souterraine des racines. Il tente des changements d’échelles spectaculaires, comme à travers le prisme des yeux d’un insecte à la vision kaléidoscopique ou d’un microscope géant, étudie des trouées et des perforations, architecte des non-espaces à travers des parois qui sont des passages, des pans de lumière qui, dans la clarté de l’aube où la couleur s’annule, révèlent des textures sous- jacentes capables de mutations.

Pierre veut entrer en contact avec la conscience des cellules, laisser affleurer leur respiration. Il a eu l’intuition d’un langage de l’invisible en inventant un alphabet qui parlerait à tous les sens, une écriture comme un code lisible à plusieurs niveaux qui démontrerait l’unicité vibratoire de l’univers.

Artaud parlait d’un nouveau langage « pour exorciser la séparation de l’être, un langage originel et universel qui puisse réconcilier corps et esprit en une œuvre infinie.»

Une création créatrice qui provoque l’expérience chez le spectateur, une entité autonome capable de modifier qui la regarde, un art pulsant et contagieux qui va directement dans le corps et agit sur les cellules, c’est cela qui motive la recherche de Pierre.

« A la fin des années 70 – se souvient-il – il y avait à Auroville quelques personnes qui, tout en faisant des choses apparemment différentes, travaillaient tous dans le même sens, cherchaient dans la même direction ». Il a eu alors très forte, en cette période, la conscience de l’existence d’un art aurovilien, de la fondamentale importance de continuer son œuvre ici. Aujourd’hui ce groupe s’est dispersé, mais cet espoir, cette vision, au fond, il ne les a jamais perdus : un rassemblement d’artistes, à Auroville, qui cherche inlassablement, comme on creuse un tunnel, en apercevant par intermittences la lumière à l’extrémité, la clé, le moyen de passer de l’autre côté.

Dominique Jacques/Centre d’Art Janvier 2020